Plongée dans la traduction collaborative chez Framasoft

Tout le monde a entendu parler d’un « frama »-quelque chose : framadate, framapad, framateam, framabook, framablog… tous ces outils sont maintenus par Framasoft, le réseau dédié à la promotion du « libre », qui est aussi à l’orgine du mouvement « dégooglisons internet ».  Le Framablog propose souvent des articles traduits depuis d’autres langues, créant ainsi des passerelles entre le mouvement du libre en France et dans d’autres pays.  Nous sommes allés à la rencontre des traducteurs pour comprendre leur manière de travailler.  Pierre-Yves Gosset, Jean-Bernard Marcon, Pouhiou et Christophe Masutti répondent aux questions de Bastien Guerry.

Cette interview est sous licence Creative Commons BY-SA 4.0.

Comment fonctionnent les traductions d’articles sur le Framablog ?

Tout est fait de manière communautaire. Un·e membre du groupe Framalang propose aux autres une traduction sur notre liste de discussion. Dès que deux ou trois membres annoncent qu’ils sont d’accord pour traduire ensemble, nous préparons le texte et lançons la la traduction sur un pad.

Il y a en général deux phases. La première est une phase de traduction « brute », où le plus de gens possible interviennent pour traduire collaborativement le texte : chacun·e son paragraphe, même si chacun peut intervenir sur les traductions des autres ou échanger en direct sur les choix de traduction de tel ou tel terme. La deuxième phase est une phase de relecture, où quelques volontaires relisent le texte pour trancher dans les choix de traduction restants, vont aussi homogénéiser la traduction, chasser les coquilles, les anglicismes et les faux-amis.

Enfin, quelques membres du groupe parmi ceux qui ont un compte sur le Framablog reprennent le pad pour le mettre en page sur le blog, en y ajoutant un chapô pour contextualiser l’article, les sources, des illustrations, les mentions des traducteurs et traductrices.

Une fois l’article publié, c’est l’équipe du Framablog qui se charge de répondre aux commentaires et de les modérer, mais nous avons de la chance : nous avons un lectorat très respectueux.

Quels outils (libres!) utilisez-vous ?

Nous hébergeons nos listes de discussion avec Sympa, nous utilisons Framapad (notre instance d’Etherpad) avec l’extension MyPads pour la traduction collaborative, et WordPress pour ce qui est du blog.

Le groupe a aussi développé un petit outil de suivi en PHP qui nous permet de retrouver facilement les adresses des pads et de suivre leur avancement.

Enfin, pour nous détendre, nous avons ouvert une équipe « Le bar Framalang » sur Framateam, une instance de Mattermost. Mais c’est juste un espace de convivialité pour éviter d’inonder les listes d’e-mails : il est interdit d’y parler boulot dessus ^^ !

Est-ce qu’il y a des outils qui vous manquent ? Si oui, lesquels ?

Il nous manque surtout… du temps !

Certes il manque souvent des mémoires de traduction, mais comme chaque projet de traduction est unique (un article de presse, un tutoriel de logiciel, etc.) il nous suffit souvent de tenir à jour une liste de termes sur la traduction desquels nous sommes d’accord pour harmoniser l’ensemble de la traduction à la fin.

Pour des projets plus conséquents, nous utilisons le même outil que chez Mozilla francophone, le Transvision : cette interface permet de trouver des traductions déjà effectuées dans de nombreux logiciels et de nombreuses pages web, et ceci dans plus d’une centaine de langues.

Quels conseils donneriez-vous à des groupes qui veulent traduire à plusieurs ?

Il faut veiller à conjuguer horizontalité et verticalité.

C’est-à-dire qu’il faut dans un premier temps ouvrir l’accès à la traduction au plus grand nombre : la phase de premier jet s’enrichit des suggestions multiples et des regards croisés.

Pour cette première phase horizontale, il faut deux choses : un outil collaboratif immédiatement accessible, et une bonne dose de tolérance et de modestie.

Concernant l’outil, c’est l’exigence d’horizontalité qui explique notre choix du pad. Il faut avoir bien présent à l’esprit que les compétences d’un bon traducteur sont d’abord linguistiques et non informatiques. Si l’on souhaite recruter des traducteurs du meilleur niveau possible, il ne faut pas les décourager en leur proposant des outils demandant une initiation trop longue et des compétences techniques.  Git, par exemple, est un excellent outil de développement collaboratif pour le code, mais son accès peut tenir à l’écart de nombreuses personnes qui apporteraient des éléments de traduction précieux et qui ne franchiront pas l’obstacle d’un apprentissage de plus. De même, un outil ergonomique comme Transifex, très en vogue, rend des services précieux, mais comme toutes les plateformes de traduction qui découpent les textes en chaînes à traduire, il rend difficile l’accès au contexte, qui est un élément décisif pour déterminer une traduction optimale.

Pour ce qui est de la tolérance, elle va avec l’outil : lorsqu’on travaille à plusieurs sur un pad, chacun peut voir d’un instant à l’autre sa traduction contestée, modifiée ou annulée (pas de panique, la sauvegarde des modifications est automatique.) Chacun doit donc accepter l’idée que personne ne détient la meilleure traduction, malgré les certitudes, le niveau d’études, le bilinguisme, les références convoquées, etc. D’autre part, les traducteur·ice·s médiocres, ça existe : il faut considérer qu’en se confrontant aux autres, ils et elles apprendront à s’améliorer et il ne faut pas les exclure. C’est difficile à admettre, mais un « mauvais » traducteur qui prend en charge un paragraphe de dix lignes, suivi d’un correcteur qui révise efficacement, produisent à deux un travail plus rapide et plus efficace qu’un « bon » traducteur qui va chercher longtemps et seul la formulation idéale, laquelle exigera de toutes façons une révision.

Vient ensuite le moment plus « vertical » où l’on passe à un groupe plus restreint disposant de compétences plus pointues et qui va pratiquer les révisions nécessaires jusqu’à la phase finale. Cette verticalité n’est pas un élitisme : elle repose plutôt sur la spécialisation. Ce groupe est ouvert à toute personne qui dispose des compétences nécessaires : il comprend par exemple des « typonazis » et des « grammarnazis ». Ces appellations sont à prendre au second degré : il s’agit de personnes très exigeantes qui vont effectuer des corrections, des mises en forme, nettoyer les inévitables coquilles, ajouter les espaces insécables, traquer le solécisme, défoncer le barbarisme, débusquer les impropriétés… bref : s’efforcer de donner au rendu final une qualité la plus proche possible de la qualité professionnelle.

Une dernière chose : toujours privilégier les contributeur·ice·s qui maîtrisent le mieux la langue cible, plutôt que ceux qui maîtrisent surtout la langue source. Avec l’expérience, il nous semble indispensable que le rendu final soit contrôlé par un francophone natif lorsqu’on traduit vers le français, par un anglophone natif lorsqu’on traduit vers l’anglais, etc. Les cas de vrai bilinguisme sont assez rares. Il faut que le lecteur oublie qu’il s’agit d’une traduction !

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Bastien Guerry

À propos de Bastien Guerry

Bastien Guerry est développeur et consultant, spécialiste des questions liées au logiciel libre et à l'éducation numérique. Il milite pour les libertés numériques depuis la fin du XXème siècle, date à laquelle il découvre simultanément GNU/Linux, les communautés de libristes, et la programmation.

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