Interview de Claire MARTIN (Dir. RSE Renault) : « Valeurs sociale et économique sont indissociables, nos expérimentations le prouvent, le défi est le passage à grande échelle »

Claire Martin est Directeur de la Responsabilité Sociale et Directeur de la Fondation Renault. Elle a récemment mené plusieurs initiatives dont la création d’un fonds d’investissement qui a pour vocation de soutenir des projets d’entrepreneuriat social.

Alors valeur sociale et valeur économique, amis ou ennemis ?

Pour quelles raisons un groupe mondialisé, côté et dans un environnement particulièrement difficile s’intéresse et s’implique dans des projets responsables ?

Il y a plusieurs raisons à cela. La première est la décision de la direction générale en 2009 d’augmenter notre impact. La fondation existait depuis 8 ans à l’époque et avait soutenu de nombreuses initiatives. Toutefois on constatait dans le même temps que les attentes de notre environnement au sens large (les citoyens, les collectivités, nos partenaires, les clients, nos salariés, …) étaient plus importantes et différentes. La philanthropie et le mécénat, bien qu’utiles ne suffisaient plus.

Une autre raison est interne. Nous avions eu à déplorer des suicides dans l’entreprise. Ces événements dramatiques nous ont amenés à mieux prendre en compte les risques psychosociaux, à mieux accompagner et soutenir nos salariés. Notre industrie est très concurrentielle, la pression y est forte et nous devions réaffirmer certaines valeurs comme le droit à l’erreur. Egalement, la crise de 2008 nous a contraints pour la première fois à organiser un plan de départ volontaire.

Enfin, les normes et législations nationales et internationales sont devenues plus nombreuses et plus exigeantes au fil du temps, ce qui nous a amené à intégrer la RSE dans l’ensemble de nos activités, de nos métiers et de nos 118 filiales dans le monde.

Ces éléments ont amené la direction générale à me confier la mission de définir et de mettre en œuvre une politique de responsabilité aussi bien interne qu’externe pour intensifier les liens entre l’entreprise et ses parties prenantes.

La responsabilité c’est large et parfois flou, quelles sont vos priorités et vos actions ?

Nous avons 4 priorités : la mobilité durable, la sécurité routière, l’éducation et la diversité. Nous avons structuré des plans d’action sur chacune de ces priorités, déployés sur l’ensemble du groupe à travers un système de management de la RSE.

Nous fonctionnons comme un incubateur de projets innovants à impact social. Un bon exemple est ce que nous faisons sur la mobilité durable. Beaucoup de gens sont exclus de la mobilité pour des raisons de revenus. Nos produits ou services sont trop onéreux pour leur budget. Nous avons conçu et sommes en train d’expérimenter des solutions pour répondre à ce défi : apporter la mobilité à ceux qui en sont exclus pour des raisons économiques et rendre ainsi la mobilité accessible au plus grand nombre. Ce défi est important parce que la mobilité est au cœur de la vie quotidienne de tous, en être exclu a des répercussions sur bien d’autres domaines que la mobilité seule. Le lien avec l’insertion professionnelle et l’emploi est évident. Ainsi en rendant la mobilité plus accessible nous avons un impact indirect sur l’insertion professionnelle.

Cet exemple est intéressant car il pose la question de la synchronisation ou de la juxtaposition des impacts sociaux et économiques. Comment percevez-vous les relations entre les deux ? Sont-ils séparés ? Comment générer à la fois une valeur sociale forte et une valeur économique compatible avec les exigences d’un groupe comme Renault ?

J’ai la conviction que la RSE doit être articulée avec le business. Mon job est de montrer que la politique RSE est un investissement qui génère de la valeur financière et non financière, matérielle et immatérielle. C’est un travail « d’évangélisation » important à réaliser en interne comme en externe car bien sûr, cette conviction, nous sommes quelques-uns à la partager au sein du groupe et ailleurs mais nous devons encore expliquer et convaincre.

Le saut à faire est de passer d’une conception des politiques de RSE comme des réponses à des externalités à une conception où la politique de RSE est synchronisée avec les enjeux business, où elle permet par exemple d’identifier de nouveaux marchés, par une écoute originale des besoins et attentes de la société.

Il y a deux formes d’externalités bien ancrées, une concernant l’image et l’autre concernant la régulation.

Les pratiques de mécénat sont très admises maintenant et nombreux sont ceux qui ont perçu l’impact positif de ces actions sur l’image et la notoriété. Mais, au-delà, nous parlons d’un double moteur social et économique.

De la même façon, les normes et régulations auxquelles doivent se soumettre les industriels de l’automobile sont nombreuses et de plus en plus exigeantes. Elles peuvent, elles aussi, être abordées d’un point de vue « RSE », comme d’un point de vue « business » et là encore ces deux notions s’entremêlent. En effet, ces normes et régulations concernent à la fois l’outil de production (sécurité des salariés, traitement des déchets industriels, recyclage…) et les produits (airbags, motorisations économes et écologiques…). Elles peuvent renchérir le coût de l’automobile pour le client. Même pour ceux qui en ont les moyens, les prestations de sécurité, par exemple que nous offrons dans nos produits ne sont pas toujours valorisées. Dans le même temps, on constate que dans certains pays les régulations sont moins sévères, ce qui signifie indirectement que ces pays « acceptent » une mortalité supérieure. On n’a pas encore résolu collectivement ce dilemme.

Synchroniser valeur actionnariale et sociale est un défi compliqué à relever parce que c’est une innovation radicale. Nous arrivons à le démontrer à petite échelle, sur nos projets et expérimentations. La transformation aura lieu quand ces initiatives ne seront plus marginales. C’est un enjeu d’autant plus important que l’automobile est une industrie de volume, où l’équilibre économique repose sur de longues séries.

Quelles sont les initiatives que vous avez menées récemment ?

Prenons le véhicule électrique. Le constat est partagé : cette solution apporte une réponse radicale à l’impératif de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les offres sont disponibles. Cependant comme elles sont perçues comme plus chères que les solutions thermiques, perception fausse lorsque l’on calcule le coût complet achat-usage, le pas est plus long à franchir.

Autre exemple, nous travaillons sur l’économie circulaire. Il y a un enjeu environnemental important (réduction des déchets, diminution des ressources naturelles) et un enjeu de compétitivité tout aussi grand (le marché de l’échange standard). Dans notre usine de Choisy-le-roi, nous reconditionnons des moteurs et des pièces pour l’échange standard.

Nous travaillons également sur l’accessibilité de la mobilité. C’est notre programme de « social business » Renault Mobiliz. Comme je l’ai expliqué, il a une vocation sociale : apporter la mobilité à ceux qui en sont exclus pour améliorer leur insertion professionnelle. Il a aussi une vocation économique et c’est pourquoi nous abordons « ce problème social avec une approche entrepreneuriale » : exactement la définition du social business donnée par Mohamed Yunus. Développer des produits et des services adaptés à ceux que l’on appelle les BOP (Bottom of the Pyramid), c’est bien sûr un enjeu social mais aussi un enjeu économique, et, j’en suis convaincue un relais de croissance future.

Propos recueillis par Louis-David Benyayer.

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Carole Leclerc

À propos de Carole Leclerc

Jeune diplômée en management et économie du numérique, a travaillé à la Fing sur les données personnelles et les business models associés.

Claire Martin

À propos de Claire Martin

Claire Martin est Directeur de la Responsabilité Sociale et Directeur de la Fondation Renault. Elle a récemment mené plusieurs initiatives dont la création d’un fonds d’investissement qui a pour vocation de soutenir des projets d’entrepreneuriat social.

Louis-David Benyayer

À propos de Louis-David Benyayer

Entrepreneur / consultant / chercheur / enseignant, Louis-David Benyayer est passionné par l'innovation, la stratégie, les modèles économiques et l'entrepreneuriat.

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