Bâtir un modèle de plateforme autour des données de la mobilité

Interview de Guillaume Crouigneau, CEO Canal TP, par Chloé Bonnet en préparation d’Open Experience #6 sur les data le 30 juin.

Quand on dirige une entreprise IT qui travaille dans le transport public, comment tombe-t-on dans l’Open Data ?

Chez Canal TP, on est tombés dans l’Open Data avant même d’entendre parler du terme “Open Data”. La libéralisation de l’information, ça fait en effet partie intégrante de notre mission ; dans le domaine du transport public, plus on diffuse de l’information de manière large, plus on génère de l’usage. En d’autres termes, l’explosion des usages numériques conduit à la croissance de l’usage physique des transports en commun. Plus on capte de l’audience via le web ou le mobile, plus on a de voyageurs.

Cette intuition, qui semble aujourd’hui évidente à l’heure où tout le monde parle des bienfaits de l’Open Data, ne l’était pas tant que ça il y a quelques années encore. Et il a fallu se battre pour convaincre nos partenaires et nos clients que c’était la bonne approche.

Aujourd’hui, vous êtes une sorte de broker, d’intermédiaire de l’Open Data entre les producteurs de données et les utilisateurs. Quel est le modèle d’affaires derrière cette position d’intermédiaire ?

Notre objectif concernant l’Open Data, c’est de satisfaire les besoins de développeurs en données relatives à la mobilité, pour les pousser à multiplier les services, et donc les usages sur le numérique. En matière de transports, la structure des données est complexe et multi-dimensionnelle, elle combine espace et temps. Rien à voir avec un fichier “à plat” qui listerait les frais de bouche des élus par exemple.

Or, en travaillant aux côtés de ces développeurs, lors de projets d’innovation ouverte, on a réalisé que la manipulation de ces données n’avait rien d’évident pour eux. Nous avons rencontré des développeurs qui perdaient un temps fou à manipuler ces données. Nous avons donc décidé de leur apporter des solutions concrètes pour leur faciliter la vie.

Le premier et principal pilier de cet ensemble de solutions, ça a été d’agréger toutes les sources de données multiples, toute l’information dont on dispose, en un seul et même endroit, afin de disposer d’un service déjà prêt à l’emploi. Nous avons baptisé cette plate-forme Navitia.io. Et, au risque de paraître naïf, elle a été construite sans modèle préétabli en tête, en se disant que du moment qu’on rendrait service à une multitude d’individus, on trouverait bien une manière de générer des revenus.

Si je devais aujourd’hui mettre une étiquette sur le modèle d’affaire de cette plateforme, je l’appellerais “freemium”. Le pilier gratuit est fondamental dans l’Open Data, et on se bat pour le maintenir. Mais à partir du moment où l’on bascule vers des dispositifs dont l’ampleur implique des prestations et un accompagnement spécifiques – parce qu’il faut poser des engagements de niveaux de services ou bien parce que le volume de l’audience est tellement important qu’il nécessite des coûts plus élevés –, alors on propose un modèle payant.

Nous faisons tout pour que le modèle soit transparent et qu’il n’y ait pas d’obligation de payer. À côté de Navitia.io qui propose des données ouvertes, agrégées et prêtes à l’emploi, nous proposons aussi aux développeurs des technologies Open Source qu’ils peuvent implémenter sur leurs propres serveurs, ou encore des fonctionnalités prêtes à l’emploi et hébergées avec un engament de service.

Quels sont les obstacles pour Navitia.io et l’Open Data transport en général ?

Le vrai casse-tête n’est pas seulement technique : il est aussi juridique. Dès qu’on commence à combiner territoires et modes de transport, on ouvre la boîte de Pandore de l’Open Data avec la question des licences, de leur incompatibilité, de la réciprocité, du share-alike, etc. On travaille activement sur le sujet, en sachant aussi que ça implique un gros effort de pédagogie auprès des producteurs de données. L’objectif, c’est de trouver des solutions dont la simplicité bénéficie à tous.

L’autre difficulté, c’est l’automatisation du traitement des données. Par définition, les données bougent tout le temps dans l’univers du transport, et il n’est donc pas question de faire des traitements manuels. Certes, on fait et on fera toujours des contrôles manuels, mais l’automatisation reste un chantier incontournable et pour le moins complexe en vue d’améliorer l’Open Data des transports publics.

Enfin, je vois un troisième et dernier obstacle à surmonter : celui de l’homogénéisation. Il y a un bien sûr une multitude des producteurs de données, mais surtout des différences de stratégie entre ces producteurs, avec un impact direct sur les données. Par exemple, les chartes de nommage des points d’arrêts peuvent différer d’un producteur à l’autre. Or, produire des services homogènes à partir de structures de données hétérogènes est loin d’être simple.

Vous avez aussi ouvert votre code source en avril dernier. Comment votre projet Open Source nourrit-il le projet API ?

Tout ça est un continuum. L’Open Source et l’API, ce sont des projets qui se recroisent et qui visent in fine à nourrir l’innovation ouverte, en la mettant au service des transports publics.

Notre conviction, c’est que la manière dont les gens sont mobiles dans le temps et dans l’espace est en train de changer radicalement, de même que leur relation au transport.

Le premier aspect de ce glissement, c’est celui de la personnalisation : les voyageurs ne veulent plus s’adapter aux réseaux et aux différents modes de transport. Ils veulent que les transports s’adaptent à leurs besoins et trajectoires. Le second aspect de ce glissement, c’est la prédominance del’usage sur le véhicule. Finalement, “prendre le train” ou la “voiture” importe de moins en moins pour le voyageur : ce qu’il veut c’est aller de la manière la plus fluide et efficace possible d’un point A à un point B. Le développement du transport partagé est un bon exemple pour illustrer cette tendance.

Cette révolution de l’usage et de la personnalisation, c’est en fait celle de la reponsive locomotion : comment utiliser la donnée et les services pour introduire un maximum de souplesse et d’agilité dans les différents réseaux et modes de transport, afin d’épouser les besoins de chacun, en temps réel, en combinant tous les moyens de transport imaginables.

Navitia.io est évidemment un outil indispensable pour inventer les services de la responsive locomotion.  Mais ne faire que de l’Open API ne serait pas suffisant. Pour nous, l’Open Source est une évidence. On va continuer dans cette logique d’Open Source sur l’ensemble de nos produits. C’est fascinant de constater la force de cette communauté, son énergie et les effets de levier de l’ouverture sur le plan de l’agilité et de l’innovation.

 La suite et plus lors d’Open Experience # le 30 juin

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Chloé Bonnet

À propos de Chloé Bonnet

Chloé Bonnet a co-fondé en 2013 Five by Five, agence d'innovation spécialisée en prototypage rapide. Elle a également co-fondé l’ambassade parisienne de l'Open Data Institute, organisation internationale qui valorise la culture de la donnée, créée par Sir Tim Berners Lee, inventeur du web. Chloé est diplômée de Sciences Po Lyon et du CELSA.  

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