S’il te plait, dessine-moi un modèle libre

En prévision d’Open Experience le 6 mars sur les modèles économiques du logiciel libre, Bastien Guerry a joué au Petit Prince. Dans le rôle de Saint-Exupéry : Sophie Gautier (The Document Foundation qui est derrière Libre Office) et Laurent Séguin (AFUL). S’il te plait, dessine moi un modèle libre.

Quel est votre modèle économique favori autour du logiciel libre ?

Laurent Séguin : 

Je pense que le meilleur modèle est l’implication humaine et financière des utilisateurs, en proportion du caractère critique du logiciel par rapport à leur activité.

Si le logiciel est purement communautaire, comme les logiciels soutenus par des fondations, l’utilisateur peut monter en compétence interne (ou se faire accompagner par un prestataire qui le fera en son nom) afin de participer à son développement, ne serai-ce qu’en dialoguant avec les mainteneurs sur ses besoins opérationnels ; il contribuera ainsi à le pérenniser en apportant dy code ou en orientant la feuille de route vers des usages industriels.

Si le logiciel est un logiciel d’éditeur, l’utilisateur doit être en dialogue permanent avec l’éditeur et mutualiser le financement de la maintenance et de la R&D avec d’autres utilisations. Il est également envisageable pour l’utilisateur de monter en compétence interne afin de participer directement à la maintenance et à la production de code, en collaboration avec l’éditeur, afin d’acquérir une totale indépendance technologique vis-à-vis de celui-ci, tout en faisant attention à ne pas assécher les sources de financement permettant à l’éditeur de rester innovant.

Dans tout les cas, les utilisateurs doivent comprendre que choisir un logiciel libre c’est un investissement à protéger, pas une simple dépense informatique. Cette protection doit se faire au niveau du logiciel lui-même en tant qu’outil technique (pérennisation du code libre), mais également en ciblant les acteurs qui s’impliquent pour améliorer le logiciel (pérénisation de l’innovation et du savoir-faire).

Sophie Gautier : 

Laurent a lu dans mes pensées, je vais faire court 😉

Un écosystème dans lequel les utilisateurs participent au développement du logiciel: à travers des entreprises qui reversent le code au projet, à travers un financement direct de la structure pour ce qui n’est pas du code.

Et ce qu’a écrit Laurent est exactement formulé comme je le pense 🙂

Quels sont les modèles économiques séduisants qui ne marchent pas ?

Laurent Séguin : 

Cela dépend de ce que l’on met derrière « ne marchent pas ». Si l’on se positionne uniquement sur les sources de revenu ou sur les implications du logiciel libre sur les utilisateurs.

Si les valeurs sont les sources de revenu et uniquement les sources de revenu, tous les modèles fonctionnent car tous rapportent plus ou moins d’argent. La mise en œuvre de plusieurs sources de revenu en même temps permet généralement de dégager des revenus suffisants pour maintenir le logiciel. Ainsi, ce n’est pas parce qu’on se finance principalement sur le support qu’il faut, par exemple, forcément négliger la vente de peluches.

Cependant, j’attire l’attention des éditeurs qui pensent financer entièrement leur R&D avec des prestations de service : lorsque l’on cherche à être compétitif sur les tarifs du service (ce qui est demandé par les clients), les revenus du service ont tendance à ne payer que le service, et ne permette pas forcément de financer aussi le code. Fort heureusement, la France dispose de très nombreux dispositifs d’aide à l’innovation, comme le Crédit Impôt Recherche, qui apporte l’oxygène nécessaire aux fonds propres des éditeurs leur permettant de continuer à investir dans leur R&D.

Si les valeurs sont la liberté des utilisateurs, donc de faire un logiciel libre et non pas un shareware à moitié open source, les modèles qui restreignent les libertés des utilisateurs ne fonctionnent pas, notamment le freemium et l’open-core,. D’ailleurs, l’AFUL conseille aux entreprises séduites par ces logiciels (qui peuvent être très bons technologiquement et effectivement répondre à leur besoin)  d’être très critique sur le discours « open source » de l’éditeur et de considérer ces logiciels comme n’importe quel autre logiciel non libre d’un éditeur.

Je pense que le grand échec de l’économie liée au logiciel libre se situe dans la coopétition entre les sociétés de service et les éditeurs. En effet, trop souvent les premiers accaparent les sources de revenu, obligeant les seconds à se protéger par la suppression de libertés sur leurs logiciels… afin d’obliger les sociétés de service à verser une part des revenus issus de l’utilisation de leur logiciel. Cela explique en partie pourquoi le modèle freemium est tant prisé par les éditeurs.

De mon point de vue, seuls les clients ont le pouvoir de réconcilier ces acteurs. Soit en commandant des prestations aux deux sur des zones d’intervention différentes, soit en obligeant la société de service à se réassurer auprès de l’éditeur. L’AFUL travaille beaucoup sur ces aspects avec les grands donneurs d’ordres :même si cela peut engendrer un gonflement de la facture à terme, il est dans l’intérêt de l’utilisateur que celui qui produit et maintient le code soit pérenne tout autant que celui qui va intégrer le logiciel à son système d’information.

Quels sont les modèles économiques émergents qui vous attirent ?

Laurent Séguin : 

L’implication des utilisateurs qui ont compris que choisir un logiciel libre (et vraiment libre) est un investissement apportant des gains de compétitivité à protéger et non pas une simple dépense de fonctionnement.

Sophie Gautier : 

La mutualisation des utilisateurs pour le financement spécifique de fonctionnalités en fonction de leurs métiers. Dans tout les cas, son implication en tant qu’acteur et non comme seul consommateur. Et ce non seulement pour le code, mais pour toute la chaîne de production d’un logiciel open source (assurance qualité, localisation, documentation, infrastructure, etc.)

Rendez-vous le 6 mars à 19h pour la suite des échanges.

Photo : El Agujero

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Bastien Guerry

À propos de Bastien Guerry

Bastien Guerry est développeur et consultant, spécialiste des questions liées au logiciel libre et à l'éducation numérique. Il milite pour les libertés numériques depuis la fin du XXème siècle, date à laquelle il découvre simultanément GNU/Linux, les communautés de libristes, et la programmation.

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