Les données, quelles opportunités économiques ?

Open data, big data, réseaux sociaux, internet des objets, les données sont partout et beaucoup y voient un nouvel eldorado, les métaphores (pétrole de l’économie numérique, or, diamant brut) soutiennent l’idée d’une valeur à venir colossale et les estimations de marchés ou de bénéfices à coup de centaines de milliards fournissent les arguments rationnels. Quels sont les fondements d’une telle valeur ? qui est en position pour se l’approprier ?

Quels sont les fondements de la valeur des données ?

La métaphore du pétrole a été beaucoup utilisée pour décrire l’opportunité lié aux données. Cette image est intéressante car elle véhicule l’idée d’une matière utile à d’autres acteurs, les données par elles mêmes produisent peu (voire pas) de valeur et elles ont une valeur d’usage forte. C’est en les utilisant que la valeur se produit.

Cependant cette métaphore rend compte partiellement des fondements de la valeur de la donnée. Les ressources comme le pétrole, l’or ou le diamant sont finies et décroissantes, au contraire, les données représentent une ressource croissante. Le mécanisme de construction de valeur est donc différent :

alors qu’une partie de la valeur d’une ressource naturelle comme le pétrole se fonde sur la rareté (moins elle est disponible plus sa valeur augmente), une partie de la valeur des données semble s’appuyer sur l’abondance (plus on a de données plus la valeur augmente).

Autre limite de la métaphore de la ressource : alors que la valeur d’une ressource est produite pour un détenteur unique, celle de la donnée peut être véhiculée à plusieurs détenteur, c’est un bien non rival.

Une même donnée peut être utilisée plusieurs fois par plusieurs bénéficiaires à des conditions différentes.

Les limites de l’analogie avec le pétrole ont été également décrites récemment par Henri Verdier ici

Qui sont les  acteurs de la chaîne de valeur des données ?

Les émetteurs de données : particuliers, organisations, état, entreprises. La majorité des acteurs économiques produisent des données directement ou indirectement, consciemment ou pas. S’ajoute à cette liste un nouvel acteur, l’objet connecté.

Les plateformes de concentration de données : les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les sites e-cce. Ces plateformes collectent les données de leurs utilisateurs en masse

Les transporteurs de données : les opérateurs télécoms et leurs fournisseurs  construisent et opèrent l’infrastructure matérielle et logicielle nécessaire.

Les opérateurs de stockage des données : les data centers, (souvent internes mais de plus en plus d’acteurs spécialisés dans la sous-traitance).

Les solutions d’analyse de données : branchées sur les gros producteurs de données, ces outils (Captain Dash, Datapublica,…) sélectionnent, raffinent, analysent et distribuent des informations utiles à la prise de décision.

Les réutilisateurs de données : entreprises spécialisées, industriels ou individus développent des services sur la base de données issues des émetteurs de données.  La valeur créée par la réutilisation des données a été plusieurs fois évaluée récemment, notamment par McKinsey.

Comment se répartit la valeur au sein de la chaîne

Pour les particuliers émetteurs de donnée : la valeur provient de l’utilisation du service, pas des données directement. La question de la monétisation des données personnelles est posée et des initiatives ont vu le jour pour permettre aux individus de vendre leurs données personnelles.  Les enjeux associés aux partages des données personnelles sont le sujet de l’expédition et de l’expérimentation MesInfos de La Fing dont le cahier d’enjeu a été publié en mai 2013.

Pour les entreprises dont le modèle n’est pas fondé sur le digital (industriels, distributeurs, services, ….) les données ont surtout une valeur indirecte d’amélioration de performance de leur métier de base : en ayant plus de données sur l’utilisation des véhicules, un fabricant peut améliorer la conception de ses voitures. En connaissant mieux les flux magasins de ses clients un distributeur va pouvoir améliorer le merchandising au sein du magasin.

« L’enjeu n’est pas, comme c’était le cas dans les démarches précédentes d’études et d’analyse, de mieux comprendre. L’enjeu avec ces données est de pouvoir les utiliser pour orienter des décisions en temps réel. Aujourd’hui on constate que les groupes ont encore des progrès à faire et des capacités à construire pour faire un véritable levier sur ces données. » Christophe Benavent. Lire l’interview

Pour les plateformes de concentration de données la valeur revêt plusieurs visages. Concentrer les données c’est une façon de les monétiser directement (ex : Twitter qui vend ses données à des analystes) ou indirectement (via la pub pour Facebook). Concentrer les données c’est aussi une façon d’améliorer la performance de son modèle de base. En travaillant sur les données, Amazon poursuit le but d’améliorer sa capacité à vendre plus et à de meilleures conditions tarifaires.

Concentrer les données c’est aussi une façon de demeurer un noeud central, un distributeur de cartes. Avec la profusion des données et des informations, la valeur de la plateforme augmente.

Concentrer les données, c’est enfin une façon de reconstruire une barrière à l’entrée. Les barrière tombent avec le digital, les avantages compétitifs résident de plus en plus sur la qualité de l’usage fourni à l’utilisateur, ces avantages sont moins durables que d’autres comme l’accès à une ressource, en collectant et utilisant les données de leurs utilisateurs, ces opérateurs améliorent la pertinence de leur service et créent une  barrière à la mobilité vers d’autres services concurrents.

Pour les réutilisateurs de données professionnels, deux cas de figure très différents : d’une part les opérateurs de solution d’analyse qui s’approvisionnent en données et  les transforment en information et d’autre part des entreprises qui vont construire des services sur la base de ces données. Autant les exemples sont nombreux concernant le premier cas, autant le second est encore émergent et peu de services déployés à large échelle sont aujourd’hui visibles.

La question de la répartition de la valeur  est largement posée.

Dans le cas où Orange mettrait à disposition les données de géolocalisation de ses clients pour en faire bénéficier un autre opérateur qui pourrait construire un service en utilisant les données, quelles seraient les règles du partage de valeur ? Il sera intéressant de voir les suites qui émergeront de l’expérimentation récente d’Orange d’ouverture de données dans le cadre de Data For development.

5 opportunités économiques liées aux données

  1. Vendre des données brutes à des opérateurs d’analyses ou directement à des clients finaux. Les monétisations directes des données sont dans une logique coût + marge ou prix de marché (ex : pub).
  2. Utiliser des données historiques fines sur son activité pour comprendre et mieux concevoir et mieux vendre (pricing + volume). Utiliser des données temps réel pour fluidifier la rencontre avec la demande
  3. Utiliser des données pour construire un service sur la base de ces données
  4. Fournir les pelles et les pioches : l’infrastructure, les solutions techniques, les services associés représentent aussi une opportunité importante (SSII). 
  5. Collecter des données en masse via un service / un objet et utiliser ces données pour améliorer la performance du service et construire une audience. 

Derrière les questions économiques se sont les questions concurrentielles et politiques qui sont posées

La position des grands détenteurs de données sera-t-elle renforcée ?

Beaucoup de données sont accessibles gratuitement ou à peu de frais. On peut formuler quelques hypothèses sur ce choix. En ouvrant les données et en permettant à d’autres acteurs de les monétiser, les plateformes permettent à un marché et à un usage de se généraliser. En favorisant l’émergence d’acteurs intermédiaires qui vont se saisir des données pour les rendre pertinentes en information, les plateformes renforcent progressivement leur position doublement : de plus en plus d’acteurs auront un intérêt économique direct à la monétisation des données et de plus en plus d’acteurs auront une utilité opérationnelle de ces données.

On peut risquer l’hypothèse qu’une fois l’usage et le marché établis les conditions d’accès à la données seront différents.

L’émergence d’une nouvelle aristocratie ?

Avec la profusion des données et leur lien de plus en plus fort avec les activités quotidiennes et pas seulement économiques des individus (prendre le bon bus par exemple) se pose la question de l’égalité face à l’usage des données.

Les données apportent de nombreuses valeurs transactionnelles : faire mieux, moins cher, de façon plus pratique, plus rapidement… Ceux qui  parmi les individus bénéficieront de ces services se verront disposer d’un avantage par rapport à ceux qui en sont exclus.

Egalement, ceux qui sauront développer des stratégies pour bénéficier de l’usage des données sans trop transmettre de données personnelles gagneront sur les deux tableaux.

La question est donc : données, nouvel instrument de domination ou d’émancipation ?

Ilustration de Oriol Llado.

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Louis-David Benyayer

À propos de Louis-David Benyayer

Entrepreneur / consultant / chercheur / enseignant, Louis-David Benyayer est passionné par l'innovation, la stratégie, les modèles économiques et l'entrepreneuriat.

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