Evoluer dans l’inconnu

Rares sont les moments où l’histoire suit un déroulement linéaire et prévisible. Rares sont les business plans qui se réalisent fidèlement. La plupart du temps, l’incertitude règne ou des évènements perturbateurs viennent déjouer les stratagèmes les plus subtils… La période que nous traversons a toute les chances d’être particulièrement agitée et imprévisible, rares sont ceux qui savent à quoi ressemblera le monde dans cinq ans …

Dans cet environnement, comment se positionner et comment se projeter dans l’avenir efficacement ?

Comment agir efficacement lorsque l’on se retrouve Without Model.

Une bonne question à se poser dans les environnements imprévisibles est « que nous reste-il lorsque l’on s’aventure dans des zones vierges et que les schémas, les repères et les conventions qui prévalaient jusqu’à lors ne s’appliquent plus ? Sur quoi peut-on encore s’appuyer dans ces environnements incertains ? »

Pour y répondre, prenons le cas d’Ernest Shackelton un explorateur britannique qui a réussi l’exploit de survivre un an et demi au milieu de l’antarctique sans perdre aucun de ses hommes.  Son plan justement était de traverser l’Antartique en passant par le pôle sud. Malheureusement, l’Endurance  son bateau qui devait débarquer l’équipe d’explorateurs s’est retrouvé pris dans les glaces et au bout de quelques temps broyé par celles-ci. A l’issue d’une aventure épique, ponctuée d’exploits impressionnants, Shakelton parvint à rejoindre la Georgie du Sud à bord d’une chaloupe pour trouver des secours… L’aventure de l’expédition Endurance mérite largement le détour et le cas de Shackelton mérite d’être étudié plus profondément.

Le style comme un moyen de naviguer dans l’inconnu

Recherche Hommes pour voyage hasardeux, faible rémunération, froid mordant, longs mois  dans l’obscurité, danger permanent, retour incertain. Honneur et reconnaissance en cas de succès.

Annonce de recrutement pour l’expedition Endurance de Shakelton.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Shakelton savait qu’il allait mettre les pieds dans l’imprevisible, qu’il s’attendait à l’inattendu et qu’il était dès le départ honnête avec ses collaborateurs ! Il n’était pas victime du triste syndrome de l’Illusion de la Maitrise.

L’illusion de la maitrise

Face à la complexité d’un environnement et à l’angoisse qu’elle génère inévitablement, le travers le plus fréquent de notre époque est de tenter de se réfugier dans les statistiques et les analyses interminables nous donnant l’illusion de maitriser notre environnement. Le meilleur exemple que je connaisse est encore le power point délirant produit par l’Etat Major américain en Afghanistan qui résume la situation du pays en … 326 points (reliés par des flèches) ! « Quand on aura compris cette présentation on aura gagné la guerre ! » déclara le général devant l’immonde graphique ! Ce syndrome se retrouve bien trop souvent dans les conseils d’administrations, dans les gouvernements, parmi les analystes financiers ou les journalistes spécialisés dont les prédictions se révèlent aussi fumeuses que celles de la Pythie en dépit de leurs abords rationnels et logiques !

Aux antipodes de cette logique, Shackelton prend acte du fait qu’il va entrainer son équipe dans des zones inconnues. C’est là sans doute l’attitude la plus sage, la plus honnête et la plus vraie. C’est en prenant acte des limites de la planification et en misant sur ses capacités internes qu’on s’engage sur les chemins du succès.

Loin de décourager les recrues, Shackelton reçut 5000 candidatures de volontaires, prêts à le suivre dans son aventure ! C’est donc qu’il avait su inspirer confiance, une confiance non pas basée sur des plans imparables mais sur les qualités du « Boss » et sur son style unique aujourd’hui souvent étudié comme l’un des plus grands leaders ayant vécu sur cette planète.

Le style, c’est l’homme

Perdus sur leur banquise, Shackelton et ses hommes ne peuvent plus compter sur grand chose pour se sortir du pétrin.  Il n’ont plus leur bateau, plus de cartes valides, plus de contact avec la civilisation, plus de repères …

Et lorsque les repères se sont effondrés, il reste que ce que vous êtes en dehors des « interférences » de l’extérieur; un mélange unique fait de valeurs, de visions, de sensibilité, d’expérience et de tempérament. Appelons cela le style !

Trouver son pôle Nord

Le problème d’une étude de marché, c’est qu’elle s’appuie sur un référentiel mouvant et non sur un point fixe. Les attentes du client par exemple peuvent changer rapidement de même que son pouvoir d’achat etc… Se reposer uniquement sur ces paramètres pour la conduite d’une entreprise est par conséquent dangereux. Où irait un navire s’il avait comme consigne de naviguer uniquement en vent arrière ? Certes il avancerait toujours vite, mais il n’irait nulle part car par nature, le vent ça tourne !

A l’inverse, si l’on choisi un référentiel stable, comme l’étoile polaire ou le nord magnétique, on peut se repérer et donc se diriger n’importe où. Avoir une vision claire, un style affirmé permet de créer ce référentiel car le style n’évolue pas ou très peu. Il est un parti pris, une manière de regarder le monde, d’envisager l’avenir, de considérer son prochain …

Le style résulte d’un parti pris subjectif, mais il permet de créer ce pôle Nord, ce référentiel permettant de se repérer dans les zones non balisées.

Peu importe que la boussole indique le Nord ou le Sud pourvu qu’elle indique un point fixe !

Peu importe que deux styles soient différents car ils permetteront tous les deux de naviguer dans l’inconnu et de donner de la cohérence à ses actions.

Shackelton est un exemple de stabilité, d’endurance, de fiabilité et de solidité. Alors que son équipage contemple avec effroi leur bateau se faire avaler par les glaces, sa réaction tint en une seule phrase mais tellement percutante : « So let’s go home ! » Shackelton inspire confiance et il est l’homme de la situation car il connait son « Nord » psychologique. Il est stable, solide et charismatique.

Agir sur le futur

Dans un monde où tout est connu, où le futur est certain, le style n’existe pas. C’est le règne de l’optimisation. Il existe un « one best way » immuable et les meilleurs sont ceux qui sont capables de s’y conformer le mieux possible. L’évidence, venue de l’exterieur, s’impose d’elle-même. Mais ce monde n’existe pas.

Devant cet état de fait, on peut chercher tout de même à approcher l’optimal unique qui nous échappe ou développer son propre référentiel. Ces deux aspects ne sont pas du tout incompatibles et peuvent être menées conjointement.

Ceux qui sont guidés par leurs propres visions, qui développent leur propre style peuvent devenir des réferences en cas de succès et seront alors imités par d’autres. Le référentiel créé n’est plus seulement le vôtre, il le deviendra pour ceux qui marchent dans vos pas car tout le monde a besoin de cette stabilité pour avancer. Si les gens s’alignent sur votre vision, il sera nettement plus facile de prévoir leur comportement et l’environnement s’en retrouvera moins incertain. Cela vous donne en outre le momentum, vous imprimez le rythme des choses; un atout vital pour tout stratège qui se respecte…

Plutôt que de chercher à entrer systématiquement en conformité avec son environnement, agir selon son style permet de mettre son environnement en conformité avec soi, de le stabiliser par ses propres actions.

Affuter son style

La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver. Rimbaud

 

Après avoir vu comment le style pouvait être un « outil de gestion » de l’incertitude efficace, il faut désormais apprendre à maitriser cet « outil », à l’affûter pour en faire une véritable boussole capable de nous orienter dans l’obscurité complète. Le travail sur le style ne suit pas les mêmes regles que n’importe quel apprentissage. C’est un travail sur soi, un travail de vérité qui s’avère le plus souvent éprouvant voire sanguinolent ! C’est enfin un travail que personne ne fera à votre place !

Se connaitre

Comme le dit Rimbaud, il s’agit d’abord de se connaitre à fond, de savoir quels sont ses valeurs, ses qualités, ses motivations profondes. Cela suppose de savoir se regarder en face, de prendre des risques, de se tester, de savoir qui nous sommes au-delà de ce que nous voudrions être ou de ce que la société aimerait que nous soyons. Il ne s’agit pas tant d’apprendre que de se retrouver.

Pour une entreprise, il est tout aussi important de mener ce travail d’auditeur, d’inspecter non pas seulement son mode de fonctionnement, mais d’aller chercher son essence et de la développer.

Si elle a une intuition, elle doit en faire une vision, si elle a un centre d’intérêt elle doit en faire une passion, si elle a une particularité elle doit en faire une identité.

Injecter du sens

Une fois accompli ce travail, nous sommes enfin armés pour repasser ce qui défile sous nos yeux au spectre de notre perception « nettoyée ». Nous devons chercher les significations possibles aux ombres qui s’agitent sur les murs de notre caverne et questionner constamment le sens de ses actions.

Pour une entreprise, il s’agit de questionner ses méthodes et son environnement au filtre de sa propre culture, de sa propre identité. Ses méthodes d’organisation sont-elles adaptées à sa culture où sont-elles une copie inconsciente de modèles préexistants, plus ou moins faux, plus ou moins efficients, plus ou moins applicable dans le contexte de l’entreprise ? Sa communication correspond-elle vraiment à ses valeurs etc ?

Epurer

De même qu’un grand peintre est capable en quelques traits de donner forme et vie à sa toile, une entreprise au style abouti doit savoir atteindre l’essentiel le plus simplement possible.

Lorsque Steeve Jobs reprit la tête d’Apple en 1997, il décida de concentrer son attention sur quatre produits et d’abandonner tous les autres. Ce n’est pas en suivant les avis d’études de marché qu’il prit cette décision (il ne faisait pas grand cas des études de marché) mais en se concentrant sur sa vision fondamentale : créer les ordinateurs les plus simples et les plus beaux possibles. Ainsi, au delà de toutes les « opportunités » que peuvent reveler les études de marché, il faut savoir s’en tenir à sa mission fondatrice et éviter la dispersion.

Devenir un compositeur

En construisant, l’architecte s’éloigne du plan et se rapproche de lui-même.

En pratique, on n’est jamais totalement sans repère, sans modèle. On évolue même presque tout le temps dans un univers plus ou moins balisé. Même au fin fond de l’antarctique, certaines lois restent identiques, certaines connaissances restent utiles… Avant d’être un explorateur, Shackelton était un excellent marin et un homme instruit qui avait une connaissance aigüe de l’Antartique le salut de son équipage tient évidemment de ces aspects.

Un grand joueur d’échec base 90% de ses coups sur des choses apprises, sur des stratégies qui ont fait leur preuves. Ce qui fait son originalité réside dans les 10% restants. C’est sa capacité à évoluer dans ces 10% en sachant abandonner les schémas de pensée habituels qui en fait un grand joueur.

Mais même dans un univers largement balisé, le style joue un rôle capital; il permet de sortir d’un état passif dans lequel nous ne sommes que des imitateurs aveugles à un état de compositeur, d’interprete qui joue en conscience et injecte ce qu’il est, son style dans une oeuvre préexistente. Lorsqu’un grand pianiste joue un air de Chopin, ll ne fait pas que repeter ce qui existe, il le transforme et le sublime. Un grand musicien est certes capable d’improviser et de composer mais il en est capable justement parce qu’il a parfaitement assimilé et intériorisé les principes des gammes et les classiques de la musique. C’est de cette manière qu’on doit utiliser la somme des connaissances et des savoirs-faire existants; en conservant sa propre essence et en agissant en conscience.

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William van den BROEK

À propos de William van den BROEK

Jeune mutin du coworking.

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