Ouverture des données et des contenus culturels, le défi à venir des établissements culturels

Camille Domange est Chef du département des programmes numériques au ministère de la Culture et de la Communication. Il vient de remettre un rapport intitulé « Ouverture et partage des données publiques culturelles.  Pour une (r)évolution numérique dans le secteur culturel ».

En quoi consiste l’engagement du ministère de la culture en faveur du numérique et plus spécifiquement de l’open data ?

Aurélie Filippetti a annoncé le 7 novembre qu’elle souhaitait mener une politique forte et volontariste en dans ce domaine. La séquence de  l’Automne Numérique, qui s’est concrétisée par une série d’événements inédits et innovants avec des communautés numériques comme Wikimedia France ou Creative Commons France a permis de bâtir une politique ministérielle des usages numériques dans le secteur culturel. L’objectif était de mettre en lumière la fantastique vitalité qui irrigue la Culture et de montrer la puissance d’innovation qui réside chez les hackteurs du numérique.

Pendant longtemps, la politique numérique s’est construite autour du seul accès aux données culturelles (site internet, base de données, archives, …). Aujourd’hui on change de logique, on change de paradigme : les citoyens veulent se réapproprier et créer de la valeur culturelle, économique et sociale sur la base de ces données et œuvres du domaine public. Nous devons permettre cette réappropriation et ces réutilisations le plus facilement possible.

L’économie du monde numérisé est fondée sur des usages qui se développent grâce à la puissance créatrice et d’innovation des individus, et non grâce au développement des seules technologies.

Le numérique est une révolution ou plutôt une évolution de notre économie qui ne doit pas être pensée comme l’évolution d’une filière ou d’une industrie mais doit au contraire être appréhendée de manière globale. Il renverse les codes organisationnels et structurels de toutes les organisations et notamment celles du secteur culturel.

Le ministère a un rôle d’accompagnement des acteurs dans cette transformation numérique. Quand on pense que la Culture contribue sept fois plus au PIB que l’industrie automobile, les potentialités offertes par le numérique sont exceptionnelles pour faire de la Culture une filière d’avenir

C’est dans ce contexte qu’a été rédigé le rapport, que contient-il ?

Exactement. Ce rapport s’inscrit dans la lignée de celui d’ A. Trojette sur l’évaluation des redevances de réutilisation des données publiques  remis en novembre dernier  au Premier ministre. Les données culturelles étaient exclues du périmètre de son analyse.

Il a été rédigé dans une démarche collaborative. Nous avons commencé cet été par une consultation publique pour avoir les avis des citoyens sur l’open data culturel. Il était important, afin d’engager cette politique numérique, de savoir sur quelles données porter notre effort pour travailler à leur ouverture.  Cette étude nous a permis d’en identifier trois types : les statistiques et données économiques du monde de la culture, les métadonnées culturelles (par exemple les notices de la BnF) et les fichiers images (par exemple l’image d’un tableau qui est dans le domaine publique). Ce dernier point, complexe juridiquement, fait l’objet d’un certain nombre de développement dans ce rapport.

Nous avons ensuite envoyé un questionnaire aux institutions culturelles françaises mais aussi étrangères par exemple le J.Paul Getty ou le Rijskmuseum, notamment sur leur politique de redevance des données culturelles. Nous avons constaté que seule une poignée d’établissements culturels tirent un revenu réel de redevances.

Le rapport a une vocation pédagogique et didactique en définissant certains grands concepts. Nous constatons une confusion de plus en plus importante en matière d’open data. Face à l’actualité sur le Big Data, PRISM, le respect à la vie privée, les amalgames et confusions sont souvent nombreux. Ce rapport est assorti également de développements très concrets permettant aux institutions culturelles d’aborder la question cruciale des modèles économiques.

Le rapport donne également une perspective internationale sur les initiatives d’ouverture prise aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en Pologne ou aux Pays-Bas par exemple. On constate que c’est une préoccupation récurrente des musées, bibliothèques et archives. Les GLAM. Certaines institutions culturelles notamment étasunienne  ont d’ores et déjà mis en œuvre des stratégies d’ouverture très engageantes.

Enfin, le rapport a pour but de fournir des clés d’action aux établissements culturels et d’enjoindre les institutions culturelles à mettre en place à tout le moins  une économie de  l’expérimentation afin de prendre la mesure des externalités positives d’une plus grande ouverture des données culturelles. L’alternative “ tout ouvrir ” ou “ tout fermer ” est paralysante, le rapport plaide pour une libération progressive, la formation d’écosystème d’innovation et de création autour avec des contrats de licence particuliers.

Une place importante est réservée aux questions de modèle économique des institutions culturelles et de la culture en général, quelles sont vos principales conclusions ?

Les établissements culturels ont besoin de modèles économiques haute couture. Nous devons ciseler des politiques numériques qui soient adaptées aux enjeux de l’institution et à leurs stratégies de développement pour prendre en compte les conséquences radicales induites par le numérique..

Pour ce faire, il est nécessaire que les institutions développent des économies de service à forte valeur ajoutée qui soient adossées à l’ouverture de leurs données numériques. Cette problématique pose la question du financement de la numérisation et des mécanismes pouvant être déployés pour accélérer cette ouverture de données réutilisables. Au-delà de l’autofinancement, le rapport étudie différents leviers tels  le crowdfunding, les partenariats public-privé et le mécénat de compétence. Il ne s’agit que d’exemples et d’autres mécanismes peuvent et doivent être développés. L’exemple de modèle économique mis en place par Numalire.com est sur ce point très intéressant.

Plus généralement, l’open data est le socle de nouveaux modèles économiques, plus collaboratifs et contribue à bâtir une économie partagée, créative et inventive.

La BnF nous fournit un bel exemple d’actualité puisqu’il s’agit de la première institution culturelle a inscrire son action dans le cadre des prescriptions de ce rapport. La BnF vient de libérer l’ensemble de ses données bibliographiques…plus de 12 millions. C’est un signal très encourageant qui permet à la BnF de se positionner comme institution de référence sur le secteur des métadonnées bibliographiques. Ce qui est sûr est que ce travail sur les données numériques du secteur culturel est un chantier décisif sur lequel les institutions vont devoir très rapidement se positionner pour être en mesure d’adapter leurs stratégies aux enjeux du numérique.

Retrouvez Camille Domange lors d’open experience #1 le 21 janvier sur les modèles ouverts dans l’art et la culture.

 

Illustration : Nena Rayo

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Camille Domange

À propos de Camille Domange

Avocat spécialisé en technologie de l'information et expert en économie numérique, Camille Domange dirige le département en charge des politiques numériques au ministère de la Culture. Initiateur et chef d'orchestre de l'Automne numérique, il est un des acteurs de l'innovation en Europe.

Louis-David Benyayer

À propos de Louis-David Benyayer

Entrepreneur / consultant / chercheur / enseignant, Louis-David Benyayer est passionné par l'innovation, la stratégie, les modèles économiques et l'entrepreneuriat.

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