4 leviers pour construire un business model qui résout un enjeu environnemental

 « Tout le monde veut sauver la planète mais personne ne veut descendre les poubelles » : comment faire pour que nous les descendions quand même ?

Jean Yanne, par cette maxime illustre bien le cas de ces actions dont on connait l’utilité mais que nous peinons à effectuer à titre individuel. Avec la montée en puissance des enjeux écologiques nécessitant l’effort de tous et l’apparition de modèles qui ambitionnent de motiver chacun à agir, cette problématique est particulièrement d’actualité. On s’y confronte chaque jour avec Les Joyeux Recycleurs.

Pour identifier les solutions qui fonctionnent, restons dans l’univers de Jean Yanne en nous interrogeant sur un cas pratique : le tri sélectif. Quels sont les freins ? Quelles actions sont en place ? Quelles solutions se développent ?

Le cas du tri : je sais que c’est important mais je ne le fais pas vraiment

Le tri sélectif a été instauré en France depuis environ vingt ans. Tous déchets confondus, nous trions aujourd’hui en moyenne un tiers de nos déchets Ce faible taux, qui n’augmente que très doucement depuis quelques années, est d’autant plus surprenant qu’on constate une volonté citoyenne d’en faire davantage et que les techniques de recyclage se multiplient.

Les émetteurs de déchets, particuliers ou professionnels, invoquent pour la plupart la même explication : « je sais que c’est important mais je ne le fais pas vraiment ». Plusieurs arguments sont avancés : « ce n’est pas ma priorité », « c’est trop compliqué », « je ne comprends pas les consignes », etc. Derrière ces motifs se cachent cinq principaux freins.

Les principales raisons au problème

Le tri est d’abord perçu comme compliqué, avec des informations généralement peu lisibles et accessibles. Qui ne s’est jamais posé la question de savoir dans quelle poubelle jeter un pot de yaourt ?

Les points de collecte sont ensuite atomisés et souvent insuffisants. Si vous souhaitez jeter correctement une bouteille en verre, un journal, un grille-pain, une capsule de café, une pile et une chaussette, mieux vaut réserver votre week-end.

Un manque d’incitation est également regretté : le geste est vécu comme un effort sans visibilité immédiate du résultat. Pourquoi devrais-je trier alors que mon impact est loin géographiquement et temporellement ?

Une autre raison est le manque de transparence, les filières de traitement étant parfois méconnues ou leur efficacité mise en doute. Nous sommes nombreux à avoir vu (ou entendu l’histoire d’) un camion destiné aux ordures ménagères ramasser des déchets triés.

Enfin, le tri est une action qu’on a du mal à faire seul car si notre voisin ne le fait pas, notre effort risque d’être vain.

Les moyens de motivation en place et leur manque

Face aux problèmes précédemment énoncés, les moyens de motivation actuels n’apportent plus une réponse adaptée. Le principal levier utilisé, la communication, ne se focalise en effet que sur un objectif : répéter des consignes pour favoriser le passage à l’acte : « C’est l’affaire de tous », « Monsieur Papillon trie ses emballages », « Tout le monde s’y met ».

Or si cet effort médiatique a pu initier le geste et commencer à le répandre, il montre aujourd’hui ses limites. Il est handicapé par le manque de vision collective des citoyens tout en faisant trop confiance à la rationalité des gens.

Un des leviers qui pourrait être envisagé serait d’instaurer un système coercitif (amende pour les poubelles mal triées ou les dépôts sauvages, obligations pour les entreprises de trier leurs déchets, etc.). Ce dernier doit toutefois être mis de côté, faute de volonté politique assez forte.

D’autres leviers de motivation sont pourtant possibles, tels que ceux développés autour de modèles économiques parallèles à l’Etat providence.

 Les nouveaux leviers pour inciter à agir

  1. Le design thinking : il consiste à repenser un bien, un service pour qu’il s’adapte davantage au besoin de l’utilisateur dans son contexte, en centrant la réflexion sur l’humain et son expérience. Pour le tri sélectif, cela signifie notamment reconsidérer l’usage des poubelles en réfléchissant sur leurs formes et leurs emplacements. Cela suppose aussi de réfléchir sur les services à associer (consignes simples, systèmes de collecte mutualisés, reporting/certificat, etc.) et de les tester.
  2. L’ajout d’une contrepartie visible et immédiate : l’objectif est de créer une motivation supplémentaire à agir lorsque celle inhérente à l’action est jugée trop faible. On augmente ainsi le bénéfice ressenti par l’utilisateur pour qu’il juge son effort moins important au regard du résultat. Les bénéfices peuvent être de trois types.
    1. Economique : on récupère par exemple quelques centimes en rapportant une canette ou une bouteille à une machine de collecte. La somme est versée en monnaie classique (comme dans plusieurs supermarchés français), sous forme de réduction (tel que dans le métro de Shanghai), ou encore se matérialise en cadeau (boisson offerte dans certaines entreprises). C’est le système de la consigne revisité. Ce système suppose que la valeur de la matière soit supérieure au coût de collecte ou que quelque quelqu’un finance la différence.
    2. Social : les déchets triés peuvent générer des dons à des associations. C’est le cas dans le programme de collecte déployé par Terracycle avec ses brigades destinées à la récupération de gourdes, mégots, etc. Une autre illustration est la collecte de bouchons de bouteille par les bouchons d’amour afin de financer des fauteuils pour handicapés.
    3. Image : ce bénéfice passe par une communication soutenue autour de valeurs et d’attitudes, centrées sur l’individu, pour les y associer à l’action. Proche des techniques publicitaires des grandes marques (« parce que je le vaux bien »), ces méthodes sont désormais reprises dans l’univers écologique. L’Ademe a ainsi signé sa dernière campagne autour des déchets par « si vous ne le faites pas pour la planète, faites-le pour vous ».
  3. La création d’une communauté pour « co agir » : dans le domaine du tri sélectif, on peut par exemple s’inscrire sur la plateforme Koom pour rejoindre un groupe s’engageant à réaliser une même action (recycler ses ampoules, donner une seconde vie à ses meubles, etc.). Plus on est nombreux, plus cela motive à agir. On crée ainsi de nouveaux liens tout en étant soi-même valorisé.
  4. La gamification : on trie ses déchets en jouant. Citegreen nous propose de gagner des points en effectuant des actions liées au recyclage des objets. En échange des points, on accède à des badges (Green Citoyen, Poubelle la vie, Recyclus deus, etc.) et on reçoit des cadeaux (cf. bénéfice économique). La gamification est proche d’une tendance qui vise à rendre plus positifs, plus joyeux des gestes vécus comme platoniques. Par exemple, avec les joyeux recycleurs on dédramatise le recyclage et on associe le geste de tri à l’univers de la bonne humeur.

 Just do it !

Que dire à Jean Yanne au regard de l’étude de ces solutions ? Eh bien qu’il existe des leviers qui fonctionnent et qu’en combinant ces derniers on peut motiver les gens à descendre les poubelles ! Certains publics seront bien sûr plus sensibles à un levier plutôt qu’un autre.

Cet article est focalisé sur le tri des déchets mais nous pouvons tout à fait appliquer les raisonnements à d’autres univers comme les économies d’énergie, le don du sang, l’usage de véhicules propres, ou encore l’épargne solidaire… autant de domaines pour lesquels nous connaissons l’utilité de notre geste mais ne le réalisons encore que peu fréquemment.

Illustration : Mélaine

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Fabien de Castilla

À propos de Fabien de Castilla

31 ans, joyeux recycleur. Fabien est diplômé de Paris Dauphine et Sciences Po Paris. Successivement consultant puis directeur du développement du groupe d’entreprises d’insertion Ares, il a créé en 2011 l’association illoco. Cette dernière accompagne des porteurs de projets africains à développer leurs entreprises (charbons à partir de déchets, recharge solaire, transformation agricole, etc.). Fabien a ainsi été bénévole toute l’année 2012 au milieu de l’Afrique, au pays des bonobos et des chimpanzés. De retour en France depuis début 2013, il est investi à 200% dans la création des joyeux recycleurs.

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