La communauté est le meilleur outil pour développer un projet ouvert

Cesar Harada développe, avec l’aide d’une communauté internationale, depuis 2010 Protei un drone des mers en open source. Il nous explique pourquoi il a fait ce choix et comment il parvient à financer ce projet.

Le drone Protei a été développé grâce à une communauté internationale et dans une logique open source, pourquoi avoir fait ce choix d’un modèle ouvert ?

Je viens d’un milieu pour qui la démarche open source est naturelle. Quand j’ai eu l’occasion de mener des recherches au MIT mon souhait était de les réaliser dans cette logique ouverte et dès les premières minutes, j’ai compris que cela n’allait pas être le cas : mon premier contact avec l’équipe a constitué dans la signature d’un NDA (Non Disclosure Agreement) qui m’interdisait tout échange avec l’extérieur sur mes recherches.

J’ai donc décidé de quitter le MIT pour continuer mon travail autremement.

Cette logique propriétaire me semble contradictoire avec le but que je poursuis : si on souhaite avoir un impact positif sur l’environnement, il faut tout faire pour que ce que l’on développe soit mis à disposition facilement du plus grand nombre pour que la diffusion soit la plus massive, c’est ce que permet une logique ouverte.

Une fois cette décision prise, je me suis retrouvé sans structure pour développer le projet. Financer les dépenses de brevet était incompatible avec les ressources dont je disposais, j’ai choisi la licence Open Hardware du CERN, à laquelle j’avais contribué depuis 2010. Dans cette communauté, je me sens parmi mes pairs, nous partageons les mêmes aspirations, les mêmes valeurs, les même problèmes, quels que soient les sujets sur lesquels nous travaillons.

Il y a toutefois une concession que j’ai faite à l’ancien monde, la marque “Protei” est déposée. Je me suis inspiré d’Arduino qui a adopté cette logique d’ouverture sur le design et de marque déposée qui permet à la fois de partager la technologie et de de garantir la qualité d’une marque, l’identité de notre communauté.

Également, le modèle ouvert permet une diffusion plus rapide d’une technologie, à la différence d’un brevet dont les cycles sont longs. Si la technologie rencontre l’adhésion d’une communauté, la propagation peut être très rapide et peu coûteuse. Avec un modèle ouvert, on favorise aussi les améliorations et des diversifications ou forks de la technologie initiale. On ne peut pas obtenir cette onde de choc dans un modèle fermé, à moins de disposer d’un niveau de ressources colossales pour la susciter et l’animer.

Un modèle ouvert était pour moi une façon de garantir la pérennité de la technologie. Quand elle est open source, la technologie a une vie au-delà de l’entreprise ou de la structure qui la porte ou a été à son initiative, même si l’organisation faillit, la technologie demeure et reste disponible.

La dernière raison, qui n’est pas la moindre, est que c’est plus agréable de travailler dans un contexte ouvert.

C’est insupportable pour moi de traiter ses collaborateurs comme de potentiels voleurs et c’est un peu ce que j’ai ressenti quand on m’a demandé de signer ce NDA au MIT. Le travail en transparence au sein d’une équipe est un véritable plaisir.

La difficulté que rencontrent beaucoup de projets ouverts est de pérenniser leur financement, d’autant plus dans le cas de produits qui nécessitent de la matière et de l’industrialisation. Comment Protei est parvenu et parvient à se financer ?

Nous sommes passés par différentes phases, nous avons changé plusieurs fois de mode de financement. On est dans une histoire plus que dans un modèle.

Au tout début, en 2010, j’étais seul et j’ai financé sur fonds propres le développement pendant un an. J’ai utilisé mes ressources personnelles (10k$) pour fabriquer les prototypes dans un garage de la Nouvelle Orléans.

Quand j’ai eu des choses à montrer, des individus se sont rassemblés autour du projet et y ont contribué. Quand la dynamique était là j’ai fait un appel à cette communauté : “qui serait prêt à quitter son job pour travailler à plein temps sur le projet si un financement était trouvé ?” C’est à ce moment, en 2011 que nous avons fait une campagne sur KickStarter qui nous a permis de collecter 33 k$. C’est ce financement qui nous a permis de travailler pendant presque un an entre 2011 et 2012.

L’année suivante a été catastrophique, ce fut l’année noire de Protei. Nous arrivions en bout de ressources et le fonds d’investissement qui s’était déclaré intéressé nous a lâché au dernier moment. J’ai passé 6 mois à Londres sans ressources, à continuer de faire avancer le développement dans des conditions très précaires.

Les vents sont redevenus favorables quand nous avons gagné une bourse de 100k$ d’une institution américaine (Savannah Ocean Exchange) pour finir le développement. Nous avons utilisé ce financement pour aller à la rencontre des utilisateurs en bateau et construire avec eux des prototypes pendant un tour du monde de 4 mois avec un incubateur de technologie a bord d’un navire “Unreasonnable at Sea”.

Nous avons décidé de nous installer a Hong Kong, et nous avons trouvé un partenaire pour manufacturer tout l’électronique de Protei en Open Source avec Seeed Studio a Shenzhen en Chine. Dans quelques mois nous serons en mesure de commencer à vendre des bateaux, on investit nos dernières ressources dans l’industrialisation.

Nos revenus proviendront bien sûr de la vente de produits et nous envisageons également de développer des applications et une plateforme. Une possibilité concerne enfin la vente de services d’analyse sur la base des informations que nous allons collecter.

La technologie est ouverte et maintenant que la conception est presque terminée un autre acteur plus ou moins bien intentionné pourrait donc la reprendre et commercialiser votre technologie, est-ce un risque pour vous ? Comment le traitez-vous ?

Nous concevons des bateaux de telle façon qu’ils puissent être fabriqués en fablab, on se dirige vers un mode de production décentralisée, c’est une façon de se prémunir de ce type de risque.

Plus généralement, cela signifie que nous devons être meilleurs et plus rapides que ceux qui pourraient nous copier. On pourrait même dire que le fait d’être copié nous renforce. C’est ce qui se passe avec Arduino, il y a de nombreux copycats et on constate que plus ils se multiplient, plus l’original se développe et se fiabilise.

Ce qui est important c’est d’avoir une technologie mais surtout une communauté qui la porte.

Voir aussi l’article de Benjamin Tincq sur Protei et son modèle économique

Photo : Protei Hackathon, Sahara Labs, Casablanca, Morocco par Gabriella Levine.

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Cesar Harada

À propos de Cesar Harada

Cesar Harada est un ingénieur franco-japonais qui a imaginé un drone marin capable de dépolluer les océans.

Louis-David Benyayer

À propos de Louis-David Benyayer

Entrepreneur / consultant / chercheur / enseignant, Louis-David Benyayer est passionné par l'innovation, la stratégie, les modèles économiques et l'entrepreneuriat.

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