Tout designer vit sous tension positive: entre collaboration et démarche individuelle, entre usages et technologies

Quel lien entre design et Innovation ? Le design est-il par nature responsable ? Quelle place du design dans les collaborations internes et externes ? Responsable Design Transverse au sein d’EDF R&D, Gilles Rougon nous donne son point de vue .

Quel lien entre design et innovation ? Le design conduit-il toujours à produire du nouveau ? Quel est le rôle du design dans le cycle de l’innovation ?

Il y a un mot fondamental dans ma pratique, celui de justesse. Quelque soit notre métier, nous recevons des injonctions à innover de toutes parts.

La question essentielle reste celle de la justesse de l’innovation.

Chez EDF, le design a été perçu en 1999 comme un moyen de développer l’innovation d’usage en complément de l’innovation technologique. En effet le processus design navigue sans cesse entre usages et technologies, entre observation et matérialisation, entre sens et utilité.

Parmi les qualités d’un designer la première est son aptitude à formuler, formaliser et à partager des idées. Le design, par les techniques de représentations notamment, permet aux individus de s’exprimer et de collaborer. La seconde réside dans sa capacité de médiation.

Les designers sont des médiateurs humbles mais efficaces au sein de toute forme d’organisations et d’écosystèmes.

Ils ont tendance à détecter les potentiels d’innovation qui rassemblent des acteurs aux logiques différentes à l’intérieur comme à l’extérieur de l’organisation. En cela les designers favorisent la transversalité, contribuent à estomper les silos, ce qui constitue un réel levier d’innovation.

Cependant le design ne peut être la réponse à toutes les questions d’innovation, notamment du point de vue du modèle économique. Les champs d’innovation sont multiples et pour qu’une innovation se diffuse, de nombreuses dimensions interagissent dont certaines ne relèvent pas directement du design.

Le designer est souvent un déclencheur. Il joue un rôle de pollinisateur et d’accélérateur dans les processus d’innovation. Il aide les équipes projets à accoucher. Il produit toujours du nouveau préférable pour les parties prenantes…

Si on vous dit « collaboratif » et « design »,  vous répondez  quoi ?  Dans quelle mesure le design est-elle une démarche collaborative ? avec quels acteurs ? Quelle est la place du design dans la collaboration entre acteurs internes et externes ?

Dans tous projets le designer intervient sous tension : il ne peut travailler sans collaborer mais il a aussi besoin de phases en solitaire. La valeur ajoutée de la création industrielle réside dans cette dialectique entre contraintes et libertés.

L’innovation naît dans les zones d’incertitude et d’ambiguïté, qui sont des zones inconfortables pour les organisations car les explorer requiert de se projeter dans d’autres métiers, auprès d’autres acteurs, pour d’autres usages.

Aujourd’hui chacun comprend que les innovations se conçoivent et se réalisent de plus en plus en interface avec d’autres organisations, entre des acteurs qui ne sont pas encore habitués à collaborer.

Le designer est une clé d’ouverture, un passeur pour nouer et animer ces collaborations. On a souvent tendance à associer le design à la génération d’une solution, c’est à dire à une réponse à une question. Il me semble que l’apport du designer est aussi, voire surtout, dans sa capacité à formuler des questions nouvelles ou à reformuler des questions déjà posées. Chez EDF, nous incarnons cette démarche par des concepts exploratoires que j’appelle des « objets questions ».

C’est le cas d’un système de récupération de la chaleur que Guillaume Foissac, designer au sein d’EDF R&D et enseignant, a conçu en 2010. Il a combiné divers constats que personne n’avait songé à associer jusqu’alors. Le photovoltaïque présente un rendement de l’ordre de 16%, ce qui signifie que 84% de la lumière captée ne se transforme pas en électricité, mais en chaleur qui est relâchée dans l’air à l’extérieur du panneau. La collaboration avec divers compétences (experts techniques interne, savoir faire externe en textile du futur …) a généré un tube en verre vertical d’un mètre de hauteur percé aux deux extrémités. L’air rentre par le bas, il est chauffé par le soleil à l’intérieur du tube par effet de serre et alimente en chaleur un capteur thermique. Un ventilateur alimenté par des cellules photovoltaïques accélère le flux d’air en cas de fort ensoleillement. Comme les cellules solaires sont collées sur le verre, une partie importante de la chaleur qu’elles produisent est récoltée dans le tube. Cette hybridation des avantages et inconvénients de chaque technologies et matériaux, sans parler de l’esthétique finale du produit, est bien plus efficace énergétiquement que l’implémentation d’une seule de ces technologies.

Pour aller plus loin, si la question du partage d’énergie dans la ville vous intéresse, nous venons de lancer un challenge «Sharing Energy in the City, 2030 » en partenariat avec Dassault Systèmes et l’APCI. Ce challenge est ouvert à des équipes interdisciplinaires avec une remise des projets au plus tard le 3 Mars 2014. Les détails sont disponibles sur www.sharingenergyinthecity.com.

Si on vous dit « ouvert » et « design », vous répondez quoi ? Les productions des démarches de design doivent-elles être toujours protégées par des brevets ? Comment concilier l’ouverture et la défense des intérêts particuliers ?

C’est une question délicate car le brevet est considéré comme un outil fondamental de la démarche d’innovation dans toute organisation. Dans notre activité de design au sein d’une Direction de Recherche et Développement, le nombre de brevets déposés est un des critères d’évaluation de la qualité du travail réalisé.

La question qui se pose à nous est moins de breveter ou pas mais plutôt du moment pertinent pour breveter.

Nous avons un équilibre à trouver pour déclencher et animer des collaborations exploratoires avec d’autres acteurs : nous avons besoin de partager des informations pour avancer et dans le même temps chaque acteur s’interroge sur ses intérêts et son futur rôle dans une collaboration.

Au stade du partage des idées et des concepts, je crois que l’on a intérêt à être le plus ouvert possible. Si on n’accepte pas cette ouverture amont, on prend un risque : celui de ne pas réellement innover in fine. Dans cette étape, nous nous efforçons de dessiner une relation future, un scénario, c’est une démarche typique d’innovation ouverte. Quand on a validé un potentiel et qu’on passe en étape de faisabilité, il est pertinent que les parties prenantes décident de mettre en place un contrat de partenariat.

Notre travail de designers est de créer les conditions d’une situation favorable pour l’utilisateur final et les parties prenantes qui y contribuent.

Cela nous conduit pour certains projets à formuler des questions partagées.

Si on vous dit « responsable » et « design », que répondez-vous? Le design est-il par nature responsable ? est-ce un but ?

J’en reviens au début de notre discussion, si on se donne comme but la justesse, quel que soit notre métier, je pense que l’on atteint plus fréquemment la responsabilité.

Quand nous produisons quelque chose, nous devrions toujours nous demander si elle permet un progrès juste socialement, économiquement et durablement.

Partager

Gilles Rougon

À propos de Gilles Rougon

Responsable Design Transverse au sein d’EDF R&D, Gilles Rougon contribue et anime des démarches d’innovation par le design au sein du Groupe EDF et avec des partenaires externes depuis plusieurs années. Il est également membre de designcode un collectif qui rassemble des designers intégrés au sein des grandes entreprises et dont la mission est de promouvoir le design management comme discipline stratégique pour les organisations.

Louis-David Benyayer

À propos de Louis-David Benyayer

Entrepreneur / consultant / chercheur / enseignant, Louis-David Benyayer est passionné par l'innovation, la stratégie, les modèles économiques et l'entrepreneuriat.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *