2 types de modèles ouverts : le marchand et le militant

Les modèles ouverts se développent. L’étude que nous avons menée et qui a donné lieu à la publication d’Open Models, nous a conduits à identifier deux types de modèles, le marchand et le militant.

Ils sont partout. Les open models se diffusent.

Certaines des innovations les plus stimulantes ont émergé ou se diffusent grâce à des modèles économiques ouverts : le web, Wikipedia et plus récemment Tabby, la voiture en open source.

Le web fonctionne grâce à des logiciels libres développés par des communautés.

Les initiatives ouvertes et collaboratives sont parfois plus efficaces et remettent en cause les positions acquises par les acteurs historiques sur certains marchés.

Le Président de la République lui-même a mis en avant les productions ouvertes dans une déclaration officielle, le 24 juin 2014 :

“ L’innovation sociale a ceci d’exceptionnel que c’est une innovation sans brevets. Il n’y a pas de brevets, il n’y a pas de propriété intellectuelle, les idées sont libres de droit, elles circulent. Et donc à nous de faire en sorte qu’aucune initiative ne se trouve entravée !”

Open, ouvert, libre, free, open source… ces termes étaient jusqu’à il y a peu de temps exclusivement utilisés dans le monde du développement informatique et, bien souvent, à propos des logiciels les plus techniques et les moins visibles du grand public. Autant dire que peu nombreux étaient ceux qui étaient informés sur ces modèles – et encore moins nombreux ceux qui en maîtrisaient les subtilités et les nuances.

Aujourd’hui, ces termes sont utilisés dans le domaine industriel (open manufacturing, open hardware), dans l’art (creative commons), dans l’éducation (open education), les sciences (open science, open access), les données (open data), et même dans la gouvernance (open government).

Ces modèles ne sont plus uniquement connus des spécialistes, mais ils touchent désormais la totalité des acteurs économiques :

  • Les individus, qui bénéficient des ressources ouvertes et qui – pour certains – contribuent à leur constitution.
  • Les communautés, qui s’organisent pour constituer un bien commun (l’outil de cartographie OpenStreetMap, par exemple).
  • Les entreprises, qui utilisent certaines ressources ouvertes, mettent en oeuvre des stratégies d’ouverture et qui – pour certaines encore – contribuent à la constitution d’une ressource ouverte.
  • Les acteurs publics, qui mettent à disposition, avec l’open data, une ressource qui va générer des externalités.

Oui, les modèles ouverts se diffusent dans de nombreux secteurs, touchent des organisations diverses. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Qu’est-ce qu’un modèle ouvert, précisément ?

À l’origine, iI s’agissait de désigner des réalités certes différentes, mais qui pouvaient se rassembler derrière une idée simple : l’opposition au modèle dominant dans l’industrie du logiciel, le modèle propriétaire. Le modèle propriétaire se caractérise par un accès restreint pour les utilisateurs, soit pour des raisons financières (le coût du logiciel), techniques ou juridiques (le droit d’accéder au programme), qu’il s’agisse d’utilisation ou de modification. Au contraire, les logiciels libres ou ouverts se caractérisent par un accès plus grand au logiciel (peu ou pas de barrière économique), qu’il s’agisse de l’utiliser, de le copier, ou de le modifier.

Un modèle ouvert est donc un produit réel ou virtuel réalisé pour tout ou partie par des individus qui sont libres de l’utiliser (parfois sous certaines conditions), le modifier ou le distribuer. Et c’est bien là que la question du modèle économique se pose :

Comment une organisation parvient-elle à assurer sa continuité si elle ne monétise pas sa production et si elle autorise d’autres à s’en emparer ?

Le territoire en friche des open models

En juin 2014, l’entreprise Tesla, qui conçoit, développe et produit des voitures électriques performantes, annonce sa décision de laisser la possibilité à n’importe quelle entreprise ou particulier d’utiliser sa propriété intellectuelle librement. Décision étonnante pour une entreprise cotée en bourse, qui a massivement investi dans la recherche et développement.

En 2010, Joe Justice conçoit en quelques semaines, avec une équipe de volontaires amateurs, une voiture plus performante en matière de consommation d’énergie que les standard du marché. Les plans sont accessibles et des ateliers permettentd’assembler librement les pièces conçues par l’équipe.

En 1994, les équipes de Netscape ouvrent le code du logiciel du moteur de recherche et lancent la fondation Mozilla.

Wikipedia, depuis 15 ans, propose une encyclopédie en ligne créée, contrôlée et mise à jour par des volontaires.

Décathlon a lancé, en 2014, une plate-forme d’innovation ouverte qui permet à ses clients et partenaires de proposer des nouveaux produits et de participer à leur création et développement.

Ces cinq exemples illustrent la diversité des modèles ouverts et démontrent qu’une vision binaire (ouvert vs. fermé) est trompeuse. La réalité des initiatives s’établit plutôt sous la forme d’un continuum de l’ouvert vers le fermé.

L’intérêt de ce livre est de rassembler des contributions qui représentent cette diversité. Il n’y a pas une manière unique de penser et d’agir dans les open models : tout est question de gradation. Cette hétérogénéité est fructueuse et la rhétorique qui consiste à opposer frontalement l’ouvert et le fermé, le militant et l’entrepreneur, est trompeuse. Comme la géopolitique, l’économie est devenue multipolaire !

Encourager la diversité, nourrir ce bouillonnement plutôt que chercher à donner à tout prix une cohérence à l’ensemble, me semble une voie productive.

Parler de modèle économique quand on parle de logiciel libre, est-ce une hérésie ?

Le terme “modèle économique” a été largement utilisé et diffusé depuis le début des années 2000. Mais c’est le livre Business Model Generation (Pearson, 2010), qui a le plus contribué à sa diffusion et son utilisation.

Un modèle économique décrit la façon dont une organisation produit de la valeur, la transmet à des bénéficiaires et en capte une partie pour assurer son fonctionnement.

Un modèle économique est donc un ensemble de briques en interactions (une offre, des ressources et une mécanique de génération de revenus). Ce qui en fait le succès est la cohérence et la bonne synchronisation de ces briques, plus que la force de l’une ou l’autre.

Prenons l’exemple de Wikipedia : une organisation constituée de volontaires bénévoles qui mettent à disposition gratuitement une encyclopédie et qui reçoit des dons pour financer les coûts techniques d’hébergement du site. C’est bien la cohérence entre le type de revenu (des dons), l’organisation (des bénévoles) et la proposition de valeur (une encyclopédie gratuite) qui est performante. Modifier une des composantes mettrait fondamentalement en cause le modèle. L’audience du site (500 millions de visiteurs uniques par mois) lui permettrait certes de générer un confortable revenu publicitaire. Mais il est fort probable que la mise en place d’un revenu publicitaire diminuerait fortement l’engagement des contributeurs à rédiger des articles gratuitement – et c’est tout le modèle qui vacillerait.

Les modèles les plus “libres” s’affranchissent des questions monétaires, ils s’établissent sur la contribution volontaire et non rémunérée d’individus. La monétisation de tout ou partie du produit est souvent perçue comme contradictoire, voire préjudiciable, aux logiques de construction de ressources libres.

Dans ce contexte on a parfois tendance à rejeter la pertinence du terme “modèle économique” pour décrire ces modèles les plus libres. Pourtant, toutes les organisations, mêmes celles qui s’établissent sur la création de valeur sociale plus qu’économique (les ONG qui fonctionnent avec des bénévoles par exemples) ont un modèle économique : un modèle économique décrit la façon dont une organisation construit et capture de la valeur – et pas uniquement de l’argent. Cette valeur peut être sociale, de communication d’image, de marque, d’externalité. Elle est créée par des ressources (matérielles et humaines) qui peuvent être gratuites ou bénévoles. La valeur construite est ensuite transmise à des bénéficiaires qui la paient ou en bénéficient gratuitement.

Le marchand et le militant

Si toutes les organisations développent un modèle économique, tous les modèles économiques ne sont pas équivalents. Dans le cas des open models, deux types de modèle économique émergent : le contributif et le marchand.

Les organisations qui choisissent un modèle contributif sont principalement mues par une motivation militante – dans certains cas idéologique – d’accès libre à la connaissance. En effet, la mise à disposition de tous d’un actif ouvert construit par des individus volontaires permet de démocratiser un savoir ou une technologie et de rendre les individus ou les organisations plus libres et mieux armés face aux institutions (l’État ou l’entreprise). Wikipedia et les logiciels libres sont des exemples de type contributif. Dans ces modèles, la connaissance produite est mise librement à disposition du public et faite par des contributions individuelles volontaires et non rémunérées.

Les organisations qui s’engagent dans un modèle de type marchand cherchent avant tout à répondre à une question entrepreneuriale (ce qui n’empêche pas certaines d’avoir des motivations militantes) : créer une activité rentable, pénétrer un marché, défendre une position concurrentielle, améliorer son efficacité ou sa productivité. Dans ces modèles, les ressources nécessaires à la constitution d’un actif ouvert sont en partie financées par la vente de produits ou de services. Les modèles des logiciels open source qui proposent des prestations de service d’intégration en sont des exemples. De la même façon, les organisations qui développent des stratégies ouvertes, mais dont le coeur d’activité n’est pas de construire un actif ouvert, sont des exemples de modèles ouverts de type marchand – c’est le cas de Tesla Motors, dont nous avons parlé plus haut.

Ouvrir, c’est aussi une façon d’accélérer la transformation d’une organisation.

Ouvrir permet de développer les capacités d’exploration et d’amener l’organisation à nouer des partenariats nouveaux, à s’engager dans d’autres écosystèmes. Les approches ouvertes mobilisent aussi souvent des méthodes qui ont un pouvoir de transformation de l’organisation : modularité des développements, cycles courts, etc.

Ainsi, les modèles ouverts créent des valeurs de natures différentes. La valeur d’usage est très forte pour tous les individus qui utilisent ou consomment des ressources ouvertes. Des valeurs directes et transactionnelles sont accessibles aux entreprises qui utilisent une ressource ouverte, souvent moins coûteuse. La valeur peut être aussi stratégique pour les entreprises qui mettent en oeuvre des démarches d’innovation ouverte et de plate-forme : elles se placent très favorablement au sein d’un écosystème et l’organisent à leur avantage. Pour les États ou les sociétés, les approches ouvertes génèrent souvent des externalités, certes difficiles à mesurer, mais bien réelles (par exemple, l’impact de Wikipedia sur le niveau de formation).

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Louis-David Benyayer

À propos de Louis-David Benyayer

Entrepreneur / consultant / chercheur / enseignant, Louis-David Benyayer est passionné par l'innovation, la stratégie, les modèles économiques et l'entrepreneuriat.

Hugo Stéphan

À propos de Hugo Stéphan

Journaliste chez Usbek & Rica et passionné par le revenu de base, je suis de très près les débats autour des questions d'économies ouvertes et alternatives.

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