Vers un green social business ? Un exemple de stratégie avec la startup Mutum.

green social business mutum

Frédéric Griffaton est co-fondateur de Mutum, une jeune entreprise qui facilite le partage d’objets entre individus en mettant à disposition une plateforme web collaborative où l’on peut prêter ou emprunter gratuitement des objets du quotidien. Une sorte de green social business. 

Pour cela, l’entreprise a créé le mutum, une monnaie virtuelle qui facilite la réciprocité des échanges et l’inclusivité (pour réduire l’inégalité d’accès aux objets et services). Nous explorons avec lui dans le détail les différents innovations qui sont au cœur du modèle économique de Mutum, une entreprise sociale écologique unique qui fait partie de l’ « élite de l’impact » : elle préserve le capital naturel, maximise l’usage du capital physique (patrimoine/possessions de chacun), s’appuie sur et renforce le capital social….et permet de partager les richesses. En somme, comment faire une transition efficace de l’ère de la possession vers l’ère de l’usage, dans un « monde fini ».

Cet article est publié dans le cadre de la recherche social impact business model.

Frédéric, que pensez-vous des enjeux globaux sur les ressources et des réponses que les acteurs économiques y apportent aujourd’hui ? Voyants au rouge ou au vert ?

Nous vivons actuellement la « Grande Accélération » de l’anthropocène – une ère de pression humaine extrême sur les ressources, de boom démographique, d’effondrement du capital naturel– dans une économie qui fonctionne déjà « au-delà des limites ».

J’ai la conviction qu’on va dans le bon sens en développant l’intersection Economie Sociale et Solidaire et économie verte. La transformation de nos modes de consommation a  bien démarré, même s’il faut reconnaitre qu’étant donné les défis environnementaux auquel nous faisons face, ce n’est pas du tout assez rapide. C’est pourquoi il faut développer d’autres modes de vie et de consommations et accélérer la transition vers ceux-ci si nous voulons pouvoir continuer à habiter cette planète.

La bonne nouvelle est que le timing est parfait pour développer cette économie. Il y a un intérêt croissant pour les questions écologiques et on trouve aujourd’hui facilement des financements pour monter une entreprise verte. Il y a également un engouement politique, notamment au sein de la ville de Paris, qui est prometteur. 

Quels sont les leviers à saisir pour « pousser » un modèle économique d’innovation de rupture comme celui de Mutum

Je vois trois grands leviers.

Le premier est que la RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) n’est pas absolument pas suffisante pour le type de changement dont nous avons besoin. La RSE doit être celle de l’entrepreneur, pas celle de l’entreprise. En clair, il faut que la tête dirigeante/pensante de l’entreprise soit en train de dire « je suis convaincu à titre personnel  qu’il faut changer de stratégie et l’impact social et environnemental doit être primordial ». Mais cette démarche est encore rare car rendue difficile par une culture de la consommation dans laquelle on baigne depuis plus de 100 ans !

Cela nous amène à notre second levier: l’éducation et la transformation des habitudes. Nous sommes encore dans une situation où nos réflexes de consommations nous mènent sur Amazon plutôt que Mutum. Même moi, en tant que fondateur de Mutum, j’ai encore la tentation parfois d’aller sur Amazon et de me faire livrer quelques heures après ! Chez Mutum nous essayons de créer une facilité d’usage mais qui ne passe pas par de l’instantané dans votre boîte à lettre. Cependant cette transformation est lente parce qu’elle demande des changements profonds. Le changement de mode de consommation que promeut Mutum demande une transformation de la pensée autour l’acte de consommer. C’est passer vers une consommation plus mesurée, où l’on prend le temps de penser, rencontrer son voisin, discuter et se mettre d’accord avec lui. Cela demande un choix quant à la manière dont on passe son temps.

Le troisième levier est la monnaie. Le modèle monétaire mondial est incompatible avec une économie verte pour l’avenir. On a besoin d’un autre type de monnaie. C’est ce que nous avons fait en créant le mutum : une monnaie facilitant les échanges entre personnes géographiquement proches et dont les algorithmes sont conçus pour réduire les inégalités de patrimoine. En  effet, à travers nos algorithmes, la distribution de la monnaie n’est pas proportionnelle à la valeur du bien échangé mais notamment au nombre de transactions effectuées. Cela veut dire quel que soit la valeur (et/ou le nombre) des objets que l’on possède, on aura une cagnotte similaire en mutum si l’on échange autant l’un que l’autre. Dans ce sens, la valeur du mutum est le contraire de celle de la monnaie actuelle qui voudrait que l’on doive échanger beaucoup de petits objets pour pouvoir emprunter des gros objets, renforçant ainsi les inégalités initiales. Toutes les inégalités ne sont pas gommées pour autant parce que l’on peut estimer que le capital social influence aussi la capacité à échanger des objets au sein d’un réseau.   

green social business mutum

Quand est-ce que ce changement de paradigme va se produire en pratique ?

Je suis convaincu que le changement se produit actuellement mais pas forcément suffisamment vite. Pour moi, développer le recyclage n’est pas suffisant (puisqu’il faut aussi par exemple éconcevoir, allonger la durée de vie des produits etc.), et pas réaliste en terme de timing : il faudrait rendre expert dans le recyclage 7 milliards d’individus dans les 3 ans – c’est impossible !

Nous avons besoin de trouver des systèmes qui  soient disruptifs et qui puissent changer d’échelle. Pour être attractif, il faut marcher sur les platebandes des modèles existants et être meilleur qu’eux ! Ainsi, Mutum ne vend pas le fait que le modèle ait un impact environnemental positif mais plutôt, nous amenons une autre proposition à l’utilisateur – qui porte une plus-value par rapport à ce qui existe déjà. Si l’on dit à un étudiant qui a peu de moyens « tu vas pouvoir disposer d’une GoPro pour le week-end, c’est possible et facile », c’est gagné.

A qui vous êtes-vous adressés pour développer Mutum ?

Notre mission est de trouver les interlocuteurs qui voient déjà l’intérêt de ces nouveaux systèmes, que ce soit des investisseurs, des business angels, des utilisateurs ou des clients (souvent les DRH). Le profil de ces derniers est très varié, ils viennent de tous types d’entreprises et de tous types de milieux, de la société générale à Biocoop.

Est-ce que ces acteurs avaient déjà conscience de ces problématiques ou le déclic est-il venu en discutant avec eux ?

Les gens qui ont déjà réfléchi à ces problèmes de façon systémique ont généralement un déclic très rapidement car le projet répond à des réflexions qu’ils s’étaient déjà faits. Pour d’autres, cela peut prendre un peu plus de temps car Mutum n’est pas toujours simple à expliquer avec son système à points et sa monnaie.

La force de notre proposition réside dans son modèle « anti-crise » – qui avant tout évite des dépenses aux utilisateurs.  Ce retournement de modèle de consommation signifie que notre concurrent n’est pas Darty mais les banques puisqu’on propose une forme d’économie alternative avec sa propre monnaie.

Est-ce que vous pensez que Mutum peut être un vecteur pour une prise de conscience plus large ?

Je n’ai pas assez de recul : c’est très difficile d’avoir une vision d’ensemble et d’estimer l’impact global. Si on ne regarde pas au cas par cas, mais plutôt qu’on regarde les discours et les tendances, je crois qu’on voit une transition des consciences sur la question écologique. L’écologie est abordée de manière beaucoup plus présente. D’ailleurs si on regarde cette campagne présidentielle, deux programmes en avaient fait des thèmes centraux et les réseaux sociaux ont été critiques vis-à-vis du manque de contenu sur la transition écologique des autres programmes.

Cependant, on est aujourd’hui en état d’urgence écologique et il doit rester 90% de la population à éduquer.

Mutum, c’est le nouveau BlaBlaCar ?

Mutum, c’est un pari fou comme BlaBlaCar. Même encore plus fou que BlaBlaCar car on n’offre pas de rémunération en euros et qu’on fonde à la place notre projet sur une monnaie alternative. Cela nécessite d’être très bon sur le parcours utilisateur et il y a donc un boulot technique important pour s’assurer que l’expérience soit la plus simple et claire possible. Il y a aussi un travail en amont, en parlant de Mutum  en conférence par exemple, pour lui faire gagner de la notoriété.

Quelles sont les barrières à l’entrée et quel horizon en termes financiers ?

Un des obstacles est que le modèle économique n’est pas évident à reproduire. Notre modèle est basé sur la vente de prestations de services à des clients pro qui ont besoin de développer leur esprit communautaire au sein de leur organisation. Le risque pour nous est qu’un gros décide de recopier le projet et de le développer avant nous.

Nous avons un CA prévisionnel de 200 000€ pour cette année, 500 000€ pour 2018 et 1 million dans 3 ans. Le modèle Mutum permet de monter potentiellement jusqu’à 10 ou 20 millions d’euros de CA ce qui n’est rien pour une licorne mais c’est parce que l’on ne valorise pas la même chose !

Nous valorisons le capital social et naturel. Notre objectif à Mutum serait d’être valorisé à presque 0€ mais avoir un milliard d’utilisateurs ! Nous serions la première licorne sociale.

Quels sont les leviers de développement ?

Un des gros facteurs est le temps. Par exemple, pour l’utilisateur, entre le temps de la découverte à l’utilisation il peut se passer 1 à 2 ans. Environ 4 millions de personnes ont vu le logo Mutum à la télé, nous aimerions en fidéliser 10% d’ici 1,5 ans.  

Blablacar a réussi son changement d’échelle parce qu’ils ont survécu la traversée de la vallée de la mort pendant 1 à 3 ans. Mutum a des gens qui sont prêts à soutenir son changement d’échelle.

 Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est pour vous le green social business ?

Etant donné le contexte actuel, il faut que tous les modèles passent en « green ». A ce titre il n’y a pas un modèle de green social business mais autant de modèles que d’entreprises.

Nous avons besoin d’un changement de paradigme qui nécessite de se demander : quel est l’objectif de l’entreprise ? Quelle est sa raison d’exister ? La réponse à cette question ne peut pas être juste « je vais gagner de l’argent. » Il faut remettre l’argent à sa place : c’est un moyen, ne pas confondre la finalité et le moyen. Il y a un rôle à jouer pour les politiques publiques, peut-être qu’il faut obliger les entreprises, au-delà d’avoir une raison sociale, d’avoir une raison d’être statutaire comme les associations

Si on veut aller plus loin en termes de lobbying, nous devons pousser pour une intégration de la notion d’impact dans l’objet social de l’entreprise.

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Hélène Le Teno

À propos de Hélène Le Teno

Helene Le Teno est en charge de la prospective et du développement des activités vertes du Groupe SOS et co-dirige le cabinet de conseil en transition Auxilia. Après 15 ans dans plusieurs secteurs (marketing, industrie, finance, conseil en transition énergétique), elle met son profil d’ingénieur au service de la transition écologique - pour  identifier et concevoir des systèmes et des entreprises à impacts positifs. Elle accompagne depuis plusieurs années Fermes d’avenir, réseau dédié à la transition agro-écologique, inspiré par la permaculture. Elle a la conviction que l’entreprise de demain peut (et devra) répondre en priorité efficacement aux besoins du plus grand nombre tout en préservant le capital social et naturel, et qu’elle prendra la forme d’un nouveau type d’organisation : l’entreprise sociale écologique.

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